La transformation digitale a été le mot d’ordre de ces dernières années, mais avons-nous vraiment su lui donner un sens et une place dans notre monde réel ? Car après tout s’il s’agit d’un objectif visant à transformer notre économie, c’est que probablement nous pouvons en mesurer les impacts voire même l’avancement. Peut-on demander aujourd’hui aux dirigeants d’entreprise de donner une mesure objective et quantitative de l’état de leur transformation digitale ? Il s’agit bien là d’un enjeu mais aussi d’un problème : si nous nous transformons, il est quand même préférable que nous sachions en quoi et comment !

Quoi qu’il en soit nous transformons tous azimuts nos services informatiques pour être au service du digital …

Vraiment ? Alors comment expliquer la différence entre une DSI qui auparavant mettait des applications à disposition des services de l’entreprise avec celle qui aujourd’hui met des outils numériques à disposition de ces mêmes services ? En quoi a consisté cette transformation, ou plus précisément comment notre vision de cette DSI a pu évoluer au point que nous avons ressenti le besoin impérieux de la transformer ?

Tout d’abord observons les missions qui continuent d’être confiées aux DSI : En premier lieu faire tourner les back-offices en intégrant des ERP les plus couvrants possibles. Par définition un ERP est un produit conservateur dont l’objectif est d’appliquer un outillage fonctionnel standardisé. Peu de différenciation est à attendre par rapport à la concurrence et surtout peu de place à l’innovation dans ce type de projet. Ceci étant, presque tous les DSI y verront des projets sérieux et valorisants.

Ensuite s’assurer de la disponibilité des infrastructures pour flatter du KPI. A l’heure de la migration vers le cloud, public ou privé, on peut comprendre que cette responsabilité se vide peu-à-peu de sa noble substance technologique. La gestion de l’infrastructure, de la disponibilité et de la sécurité pousse plutôt le DSI vers un rôle de gestionnaire de contrats, porteur de la responsabilité des données et de la sécurité et éventuellement garant des normes. Il apparait donc que ces seules missions sont insuffisamment riches pour sécuriser un rôle qui a déjà eu du mal à s’imposer dans le Board exécutif des entreprises et qui désormais s’apparente plus à celui d’un acheteur spécialisé.

Ensuite parlons de la création de valeur. C’est un sujet nettement plus positif et porteur, et qui est vraiment le cœur du sujet de la transformation numérique. Mais là où nous attendions des super-DSI placés au centre du processus d’innovation de l’entreprise et qui auraient pris le fer de lance de nouvelles stratégies de développement axées sur le numérique, les dirigeants ont massivement préféré embaucher des CDO et des directeurs de l’innovation. Cependant après quelques années le constat global est mitigé sur le succès de ces nouveaux rôles qui se veulent plus transverses. Des difficultés sont apparues à faire s’imposer une direction unique, à impliquer tous les départements, à être légitime sur chaque étape du processus d’innovation. Car le point est bien là : pour porter l’innovation numérique en l’associant au business traditionnel de l’entreprise, et être légitime à le faire, il faut être un homme / une femme de l’art, sachant et expérimenté, un peu comme un DSI en somme …

Cette difficulté à positionner l’innovation et la valeur numérique au cœur des entreprises se traduit également dans leurs organisations. La transformation numérique doit être installée dans la structure même qui doit la porter. Après de nombreuses années à tenter de se débarrasser, non sans mal, de la césure entre MOA et MOE, nous pensions que le principe agile était enfin la norme. Le product owner aurait trouvé sa place, au carrefour des métiers et de l’état de l’art, capable de comprendre l’implication technologique dans le business de l’entreprise, et de faire valider une roadmap agile, dont la ligne directrice serait pilotée par la valeur apportée à l’entreprise. Mais finalement, sans doute par peur du vide, les directions métiers et les DSI ont fini par créer un product owner technique, sorte de scribe capable d’écrire en langage agile, aux ordres d’un « légitime » product owner, seul représentant digne du métier, peu importe qu’il ne comprenne pas l’esprit agile, pas plus que l’ingénierie logicielle. La plupart du temps cela se traduit par une absence pure et simple de roadmap et par l’écriture d’un cahier des charges monumental répondant à chaque besoin dans son expression la plus détaillée. Une pure approche pyramidale qui reconstruit des silos là où nous souhaitions les abolir. Retour en arrière donc, notre transformation numérique prend du plomb dans l’aile.

Toutes ces tergiversations nous éloignent du vrai objectif : comment transformer l’économie pour répondre aux enjeux numériques du futur. Et comme nous venons de le voir, il faut partir d’un constat simple : Nos DSI sont taillés et organisés pour rendre un service de support. C’est d’ailleurs ce que leur demande leur Board exécutif, même quand ils parlent de transformation digitale ! Sous ce délicat foulard de la modernité bien marketée, on cache une plus terne réalité qui consiste à satisfaire exclusivement les patrons de Business Unit. Ceux-ci se plaignent d’ailleurs assez souvent que leurs fameux « outils » les empêcheraient d’accomplir leurs objectifs. Il faut avant tout servir les BU existantes, celles de la vieille économie, afin de répondre à des besoins déjà largement éprouvés, rentables et sécurisants.

Pour assumer une transformation numérique il faudrait d’abord assumer que la DSI se transforme en véritable Business unit et qu’elle affiche de vraies ambitions de développement, qui pourraient même parfois être en concurrence des BU historiques. Cela s’assume. Cette transformation demanderait de reconsidérer complétement le regard des dirigeants envers leurs compétences IT afin de les valoriser et de les utiliser pour ce qu’elles sont : des actifs précieux qui devront penser le business de demain. Mais aujourd’hui ce sont toujours les BU métiers historiques qui sont reines, faisant et défaisant les DSI en fonction de leurs contingences et priorités propres. Les DSI sont toujours à leur service et restent ballotés et manipulés par les considérations d’enjeux de pouvoir internes qui agitent le SI comme une marionnette virtuelle responsable de tous les maux de l’entreprise.

Cependant le choix reste possible et sera de toute façon nécessaire pour survivre à plus ou moins long terme. Une grande partie des entreprises actuelles pourraient devenir très bientôt de nouveaux acteurs numériques à part entière, aspirés par la part grandissante de cette activité dans leur valeur totale produite. Cela va donc supposer de repositionner le DSI, que l’on devra probablement renommer en Directeur de la BU Numérique, et qui devra se transformer lui-même pour passer d’un rôle de fournisseur de services support à celui d’un innovateur business, imposant ses vues, défendant son périmètre, prenant ses décisions en tant que patron de son activité, et en utilisant à son tour toutes les autres ressources de l’entreprise afin de satisfaire à ses objectifs. Dans ces conditions il est urgent pour ces entreprises d’appréhender ce métier et d’en apprécier les vrais acteurs. Nul doute que cela est d’abord une transformation culturelle avant d’être une transformation numérique. La bonne nouvelle c’est que cela s’apprend et donc s’acquiert, pour peu qu’on le veuille et que l’on respecte vraiment ce métier.

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